Plusieurs fois par an, l'équipe d'animation du forum CoCyclics organise des défis d'écriture pour les membres qui ont un projet en cours de rédaction (et présenté sur le forum, évidemment). Je vous ai déjà présenté l'un de ces défis, lorsque j'ai rédigé une histoire à quatre mains avec Panthera : l'équipe de choc. Depuis, un autre défi a été lancé aux grenouilles du forum et vous pourrez lire ma contribution ci-dessous. La consigne est simple : respecter le thème du défi et limiter sa participation à 5.000 signes.
Ce que j'apprécie dans ces défis d'écriture, c'est qu'ils nous permettent de sortir de nos personnages du cadre de notre roman, de leur inventer des aventures et de nous plonger dans des réalités alternatives qui repoussent les frontières de notre projet. Et puis, parfois - comme en ce moment - quand l'inspiration et/ou le temps vous manquent et que vous n'avez pas écrit une ligne depuis des semaines, cela vous permet de vous y remettre.
« Halloween approche, et la barrière entre le monde des esprits et le nôtre se fait chaque jour plus fine (...) Qu’ils soient issus de la culture populaire, de mythes et légendes, ou de vos propres mondes, ils risquent de semer une sacrée pagaille. » (Défi proposé par l'équipe des capes violettes de Cocyclics)Crédit Image
Morzan ne résista pas à l'envie impérieuse qu'il ressentait de fermer les yeux. Les flammes l'avaient enveloppé d'une réconfortante chaleur et le sommeil n'avait pas tardé à le gagner. Il dodelina de la tête, prêt à basculer dans le monde des rêves, lorsqu'une voix le fit sursauter. Ses paupières papillonnèrent d'étonnement, puis il se redressa contre le dossier de son fauteuil. Les flammes ondulaient avec grâce dans la cheminée au large manteau de marbre veiné.
— Mon garçon, est-ce que tout va bien ?
— Pardonnez-moi, mon oncle. Une simple absence.
Morzan se tourna vers la droite et offrit un sourire affable au vieil homme, dont le visage sillonné de rides se fendit d'une expression indulgente. Edin Terinfiel l'observa avec sa bienveillance coutumière, puis reporta son regard vers l'âtre et s'abîma dans la contemplation du brasier. Une impression de déjà-vu étreignit Morzan, mais la sensation se dissipa presque aussitôt.
— As-tu apprécié la cérémonie ?
Morzan hocha la tête en silence, concentrant son attention sur les flammes. Toute la noblesse du royaume s'était réunie pour assister à l'officialisation de son statut de prince héritier. Son oncle avait vu les choses en grand pour ce jour particulier : la cérémonie avait été la plus belle réception qu'il fût donnée au palais depuis bien longtemps. Tout le jour durant, l'estomac du jeune homme n'avait cessé d'être noué par l'angoisse. Il désirait plus que tout être à la hauteur des espérances de son oncle. L'idée qu'il puisse le décevoir lui rongeait les entrailles. Si seulement il avait eu quelqu'un pour l'écouter et l'épauler dans cette épreuve... Sa timidité excessive l'avait toujours empêché de nouer des amitiés sincères. Edin était son unique confident.
Par pure habitude et pour évacuer sa nervosité, Morzan fit rouler son pouce contre ses autres doigts. Le sentiment d'un manque l'oppressa soudainement. Il fronça les sourcils et scruta ses mains comme s'il avait espéré y trouver un objet, un bijou, quelque chose qu'il avait l'habitude de triturer. En vain. Un frisson parcourut son corps. Malgré l'intensité des flammes dans l'âtre, il se rendit compte que la pièce était d'une extrême froideur. La peur se cristallisa dans ses veines, glaciale.
— Je te connais mieux que quiconque, mon garçon. Je sais que l'avenir t'effraie.
La voix onctueuse du vieux roi réchauffa le jeune homme. Son oncle était bien la seule personne à pouvoir deviner ses tourments sans qu'il ait besoin de les formuler à haute voix. Son visage calme et serein se tourna vers lui. Morzan sentit sa peur refluer, même si le froid engourdissait toujours ses membres. Seule sa main droite semblait épargnée, comme protégée par une chaleureuse présence.
— Les peurs qui sont aujourd'hui les tiennes ont été les miennes autrefois.
Le vieil homme ôta la chevalière qu'il portait à son auriculaire, puis la tint du bout des doigts et l'approcha du visage de son neveu. Dans le contre-jour du foyer, l'anneau sigillaire attisa la convoitise du jeune homme. La bague en or blanc était ornée du symbole de Snotra, la Déesse de leur peuple. À présent, l'anneau semblait être le seul capable de réchauffer son âme engourdie. Un éclat de cupidité passa dans les iris mordorés de l'Ombre. Il tendit la main vers la chevalière, prêt à recevoir le présent de son oncle, quand une onde de choc déferla dans son esprit. La sensation de déjà-vécu le transcenda et il esquissa un geste de recul, étourdi par la violence de ses pensées.
— Tout va bien, mon garçon, répéta Edin d'une voix de velours. Je t'aime comme mon propre enfant et cet anneau te revient. Personne ne t'aime comme je t'aime, l'aurais-tu oublié ? Je suis le seul à me soucier de ton bien-être.
À ces derniers mots, une douleur atroce transperça les tempes de Morzan. Elle lui martela le crâne, comme si quelque chose fourrageait son cerveau pour y extraire des souvenirs. Edin quitta son fauteuil et s'approcha de son neveu pour lui prendre la main. Il hurla à son contact. La peau de Morzan irradiait d'une intense chaleur. Le jeune homme se redressa d'un bond. Son regard étincelait de rage.
— Mon oncle est mort !
Il se rua sur le spectre et plaça ses deux mains autour de son cou. Il serra de toutes ses forces, investi du pouvoir brûlant qui irradiait sa peau. L'abomination s'évapora dans un gémissement inhumain.
Morzan s'éveilla en sursaut, appuyé contre un tronc d'arbre. Son front et son dos dégoulinaient de sueur, froide et poisseuse. Son cœur pulsait à un rythme effréné. À deux mètres devant lui, le feu de camp s'était réduit à quelques braises rougeoyantes. Il leva les yeux au ciel et aperçut la pleine lune à travers la futaie. C'était l'équinoxe, le jour où les spectres envahissaient les rêves des mortels. Morzan soupira, encore bouleversé par son cauchemar. Puis, il pressa la main qui était logée dans la sienne, déposa un baiser sur la chevelure blonde qui accaparait son épaule et reposa sa tête contre celle de son amie.
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